PMA,GPA, quelles conséquences ? par Linda Gandolfi
Les États généraux de la bioéthique ont ouvert les débats sur les nouvelles avancées scientifiques notamment en matière médicale. En tête de ces débats, la PMA (procréation médicalement assistée) et la GPA (gestation pour autrui). Faut-il libéraliser les procédures d’aide à la procréation ou au contraire y mettre des limites ? La question fondamentale est celle des libertés par rapport aux limites du corps et donc aux limites de la nature.
Les partisans de la libération expliquent : les limites du corps peuvent aujourd’hui être dépassées par la science, pourquoi y renoncer ? La chirurgie dentaire permet bien de remplacer une dent et personne ne s’en offusque. Sans compter que cette dent « fausse » permet de manger normalement. Certes, il ne s’agit pas de dent mais d’enfant. Mais ce n’est jamais qu’un prolongement de ce que permet la science. Où est donc le curseur ? Peut-on allègrement s’affranchir des lois naturelles sans conséquence néfaste ? Y aurait-il des lois naturelles moins importantes que d’autres ?
Dans le cas de la venue d’un enfant, on connaît aujourd’hui assez bien les lois de la construction psychique notamment grâce à la psychanalyse aujourd’hui relayée par les neurosciences. Pour que la sauce psychique prenne, certains éléments qui entourent la venue d’un enfant doivent être présents : au-delà de l’ovule, du spermatozoïde et d’un ventre féminin, il faut un désir, une personne pour le porter et l’accueillir et une autre personne de sexe différent pour jouer l’altérité. L’unité psychique se construit au carrefour de ces rencontres.
Certes, jusqu’à présent et de tout temps, l’un des membres du trio pouvait être absent ou défaillant mais cela relevait d’une histoire accidentelle que l’on pouvait expliquer : mort en couche de la mère très fréquente dans les temps reculés, père inconnu ou défaillant ou mort accidentellement etc…. Par ailleurs, ce n’était pas sans conséquence affective mais il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, la situation était gérable et on ne compte pas les orphelins devenus artistes renommés, chercheurs reconnus ou inventeurs de génie. Tout au plus peut-on constater en en cas de père inconnu ou d’adoption, la recherche obsessionnelle des origines manifestée par les enfants.
Avec la PMA ou la GPA, les problèmes sont toutefois différents car il s’agit de surseoir à une impossibilité physiologique ou même psychique.
La science permet une dissociation des acteurs assez spectaculaire :
– Spermatozoïde différent avec ovocyte et ventre de la mère.
– Spermatozoïde différent, ovocyte différent et ventre de la mère.
– Ovocyte différent, spermatozoïde du père et ventre de la mère.
– Ovocyte de la mère, spermatozoïde du père, ventre différent
– Ovocyte différent, spermatozoïde du père et ventre différent
– Ovocyte différent, spermatozoïde différent et ventre différent
– Dans le cas de jumeaux, il peut y avoir deux spermatozoïdes différents dans un même ventre.
– Dans le cas de parents homosexuels, il peut y avoir un spermatozoïde différent et l’accueil de l’enfant par deux personnes du même sexe.
La liste des possibilités est incontestablement vertigineuse.
Nous n’examinerons pas ici les arguments moraux tels que la marchandisation du corps des femmes. Non pas que ça n’existe pas, mais parce que cela rejoint la question plus générale de la pauvreté. Nous pensons en effet que ce n’est pas le cœur du problème. La marchandisation du corps existe déjà avec la prostitution y compris celle des jeunes enfants qui est bien évidemment insupportable. Il est aussi incontestable qu’il y a des mères prêtes à porter un enfant dans un objectif uniquement altruiste, on ne peut pas les oublier.
La véritable question autour de ces techniques visant à satisfaire le désir d’enfant est celle des conséquences sur la construction psychique. Comment la construction de l’enfant peut-elle être impactée notamment par l’éclatement des éléments de formation à la base de la gestation ? Quelles conséquences pour l’enfant à naître ? Quelles conséquences pour la construction d’un moi ?
La plupart des pédiatres qui suivent ces enfants nés et élevés dans ces contextes ont tendance à dire qu’ils ont un développement tout à fait normal et qu’ils vont plutôt bien. En tous les cas, aucune manifestation particulière n’est à signaler : pas de problème physiologique flagrant ni de fragilité psychique remarquable et pas de problème de développement visible. Mais il ne faut pas trop s’y fier car on sait très bien que la génétique met du temps à s’organiser et on ne peut absolument pas présumer de ce qu’il se passera par exemple, pour les enfants de ces enfants.
En effet, les règles de filiation ne sont pas simples : on sait que la génétique se modifie de génération en génération selon des schémas logiques qui échappent encore à la compréhension. On a pu constater par exemple, qu’un père violentant ses enfants pouvait générer chez ses petits-enfants, le gène de la violence. Par conséquent, les constatations actuelles ne permettent pas de se prononcer de manière définitive sur l’absence de conséquences. Lacan signalait à ce propos qu’il fallait trois générations pour former un psychotique.
Sur le plan des conséquences physiologiques par exemple, au début du développement du tabac, à la fin du XIXe siècle, il n’y avait que très peu de cancers. Or, ce n’est qu’à la fin du XXe siècle (soit trois générations plus tard) que l’on a constaté l’influence incontestable du tabagisme sur l’ensemble des cancers. Tout se passe comme si le corps mettait du temps à réagir.
Dans le cas de la PMA ou de la GPA, la question que l’on peut se poser concerne les conséquences de cette multiplication des acteurs et de la confusion originaire engendrée.
Prenons l’exemple d’une famille française qui a opté pour la GPA et qui a donc organisé la naissance de leur enfant avec une mère porteuse américaine, avec don d’ovocyte et don de sperme :
Dans ce cas, il y a eu le choix d’une femme donneuse d’un ovocyte que les futurs parents ont généralement rencontrée (cette possibilité n’est pas obligatoire), choix de l’homme donneur (généralement sur catalogue ou totalement anonyme). Puis il y a eu l’entrée en jeu de la mère porteuse. Celle-ci dès le départ, a pris soin d’indiquer à l’embryon puis au fœtus qu’elle n’était pas la vraie maman. L’enfant est né et les parents ont emporté l’enfant en France. Le contact avec la famille de la mère porteuse a été conservé. Les deux familles se voient régulièrement par Skype et parlent de l’évolution de l’enfant. Tout est fait pour que tout se passe avec le plus d’harmonie possible et on peut même penser que des enfants de parents « classiques » n’ont pas la chance d’un tel entourage.
C’est exact, mais le doute de ce qu’il se passe dans les tréfonds de la psyché demeure. En effet, comment l’unité psychique qui est la base de la construction du moi intègre-t-elle cette confusion de départ ? Comment cet éclatement originaire peut-il être perçu quand on sait à quel point la faille sur laquelle repose la psyché est abyssale ?
Deux solutions :
– Soit la faille n’est que superficiellement refermée et la confusion risque de réapparaître un jour : je pense que cela pourra se traduire par des difficultés physiologiques encore inconnues dans les générations descendantes (tares, stérilités…). Dans ce cas, le non-respect des limites corporelles serait pris en charge par le corps référant et protecteur des lois naturelles. Cela voudrait dire que la science doit se contenter d’observer et de comprendre mais pas de transgresser. D’autres lois supérieures la chapotent.
– Soit, nous changeons de paradigmes à la base de la construction psychique et là tout est envisageable. Ce serait une émancipation de la psyché vis-à-vis du corps et la mise en place de nouvelles lois d’accès à la conscience. Le corps ne deviendrait que l’instrument secondaire de la conscience. Une conscience qui devrait-être suffisamment puissante pour s’affranchir de tous les clivages.
Aujourd’hui, c’est un peu le pari de Pascal. Pour ma part, je pense inutile de s’opposer à l’expérimentation. A partir du moment où les pratiques sont légales dans un bon nombre de pays, le mouvement est en marche et il me paraît inutile de vouloir l’arrêter. En revanche, la responsabilité individuelle est à son comble et il appartient à chacun de parier en fonction de ses convictions. On l’aura compris, je ne crois pas à une émancipation de la psyché par rapport au corps. Je pense juste que le corps va mettre du temps à réagir. Réfléchir aux conséquences de ce que l’on engendre que ce soit dans le quotidien comme à une plus grande échelle, me paraît être l’enjeu d’un nouveau saut temporel pour l’homme. En effet, les processus de conscience sont intimement liés à l’appréhension du temps et sa pénétration. La liberté a un prix celui d’être toujours plus conscient des conséquences. Chacun peut donc choisir en son âme et conscience et en toute liberté de transgresser les lois. Bien sûr il y a l’enfant au bout de ce choix mais l’enfant est un futur adulte et on sait que ce sont les générations futures soit qui récoltent les avancées, soit qui paient pour les erreurs des précédentes.