Psychothérapies d’enfants en question, par Linda Gandolfi

Pourquoi les psychothérapies d’enfants ne donnent généralement pas les résultats escomptés ? Telle est la question que nous nous sommes posés. Grâce aux pionniers de la psychanalyse d’enfant que sont notamment Donald Winnicott, Anna Freud, Bruno Bettelheim, Mélanie Klein ou Françoise Dolto, un pas gigantesque a pu être accompli dans la compréhension de la construction psychique et de nombreux enfants, en plus ou moins grande souffrance, ont pu en bénéficier. Toutefois, les enfants apparaissent moins réceptifs au suivi psychanalytique, comme si l’expression de leur mal-être visait autre chose.
Tout aussi remarquable que soit le travail de clinicienne de Dolto ou encore, aujourd’hui, celui de Claude Halmos, leur succès thérapeutique reste marginal au regard de ces masses d’enfants dirigés chaque année – la plupart du temps par les professeurs des écoles — vers des psychothérapeutes. Pourquoi ?
Tout homme est précédé par son enfance et sa construction repose sur ce premier socle relationnel entre sa mère et son père. Dès ses débuts, la psychanalyse a donc, logiquement, cherché à éradiquer les problèmes au moment même de leur apparition, c’est-à-dire chez l’enfant. Cela a permis à Mélanie Klein, par exemple, de faire remonter les phénomènes de psychoses aux premiers mois de la vie.
Cette démarche historiciste, si elle est intellectuellement parfaitement juste et pertinente ne donne généralement pas les résultats escomptés. Ce défaut n’est d’ailleurs peut-être pas étranger aux attaques répétées contre la psychanalyse ainsi qu’à la recrudescence des thérapies comportementalistes qui présentent effectivement une plus grande efficacité, mais qui souvent font courir le risque de masquer les problèmes derrière une façade de comportements artificiels.
Comment éviter ces écueils et aider les familles à surmonter les difficultés que présente un enfant dit « à problème » ? Telle est la question qui a conduit notre école à créer « Les Enfants de Kiron ». Nous avons identifié trois pôles d’interventions jusqu’alors négligés, consistant à revenir sur ce qu’il conviendrait d’appeler trois faux pas : l’exclusion des parents dans les thérapies ou la marginalisation de leur rôle, la médicalisation à outrance de problèmes essentiellement d’éducation et de pédagogie et l’absence d’accès à l’interprétation symbolique basée sur une véritable anthropologie.

1 – A propos de l’exclusion des parents dans la prise en charge des problèmes rencontrés par l’enfant, voici ce que Freud écrivait : « Chez l’enfant, c’est-à-dire là où il est permis d’escompter les meilleurs résultats, nous nous heurtons à des difficultés extérieures qui découlent de la situation vis-à-vis des parents, et cependant ces difficultés sont inhérentes à l’enfance même. »(1) On ne peut mieux résumer la situation ! Si la psyché est une construction culturelle qui s’appuie sur le triangle relationnel formé avec la mère et le père, quoi de plus normal de mettre en question cette relation quand l’enfant manifeste une difficulté pour se construire. C’est l’évidence même. Et pourtant déjà dans la thérapie du petit Hans (2) , Freud en appelait à la raison de l’enfant âgé de cinq ans pour s’émanciper de sa mère.
Aujourd’hui, dans la plupart des scénarios thérapeutiques, les parents, conviés au premier entretien, sont ensuite écartés. Et il est souvent de règle d’ériger un mur rigide entre les parents et ce qu’il se passe par la suite dans la thérapie de l’enfant, ceci au motif de protéger sa liberté de parole. L’essentiel va donc se jouer entre le thérapeute et l’enfant sans qu’il ne soit jamais vraiment donné aux parents l’occasion de comprendre leur implication dans les difficultés rencontrées.
Or, le langage de l’enfant s’adresse avant tout aux parents. Il signale un problème qu’eux seuls sont en mesure d’entendre pleinement. Il nous paraît, par conséquent, indispensable de replacer les difficultés exprimées par l’enfant dans une vision plus large qui fait intervenir ce qui se joue dans le cadre de la transmission inconsciente. Ainsi, un enfant qui ne s’alimente pas correctement par exemple, peut signaler une difficulté à forger son propre appétit de vivre. L’objectif sera alors de comprendre le message de l’enfant et de le traduire afin de rechercher les causes de cette inappétence dans l’attitude inconsciente des parents. Un enfant qui dort mal ou fait des cauchemars exprime par cette agitation du sommeil une difficulté en résonance avec sa vie diurne. Tout comme un adulte dont la journée a été pénible, l’enfant le manifeste dans son sommeil. Le problème est de savoir pourquoi ses journées sont si difficiles ? Comment les parents peuvent-ils l’aider à vivre mieux — et souvent avec moins d’angoisse — sa vie avec les autres ?
Ce que l’enfant exprime est forcément quelque chose d’incompréhensible pour les parents car cela touche la sphère inconsciente. Mais — et c’est là que doit déboucher une utilisation efficace des thèses de Freud —, les enfants sont des miroirs de ces nuages inconscients dont nous sommes tous porteurs. Tel est l’enjeu actuel de la transmission : il s’agit d’accepter que l’enfant est porteur d’une vérité inconsciente et qu’il la manifeste dans l’intérêt de tous.
Ceci étant posé, l’exclusion des parents en partie ou en totalité de la problématique, comme cela se fait souvent aujourd’hui a nécessairement deux conséquences :
– soit la thérapie marche bien alors que rien dans l’attitude des parents n’a changé. Ce que l’enfant dit aura certes été entendu par le thérapeute mais pas par les parents. Le problème restera inconscient. Irrésolu, il se déplacera ailleurs et apparaîtra sans doute autrement. On peut seulement espérer que l’enfant, plus conscient des causes de son mal-être, trouvera en lui-même plus tard les ressources pour s’en libérer et ne pas le reproduire.
– soit la thérapie ne marche pas car — et on peut le comprendre — les enfants conservent leur attitude de défense qui leur permet d’exprimer un malaise réel non levé. C’est à mon avis le cas le plus fréquent.
Aussi faut-il dans un premier temps aider les parents à comprendre ce qui dans leur attitude aussi tendre et aimante soit-elle, ne répond pas aux besoins véritables de l’enfant. De plus, les parents ne demandent pas mieux que de comprendre ce qui se passe. Il ne s’agit pas d’un manque d’amour mais d’un problème nous affectant tous de manière plus ou moins importante et qui implique aujourd’hui d’élargir nos processus de conscience et de faire de l’éducation des enfants un lieu d’évolution majeur. Il est donc urgent de redonner la main aux parents et de sortir du « tout thérapeutique». C’est ce que proposent Les enfants de Kiron en recevant les parents et en cherchant, avec eux, la provenance des problèmes de leurs enfants.

 

2 – Le 2ème point important qui concerne précisément le contenu du langage de l’enfant, permet de resituer les problèmes dans un cadre éducatif et non plus thérapeutique. Le problème de la construction psychique ne relève pas uniquement du pathos. En son temps D H Lawrence reprochait à Freud de vouloir guérir les gens de ce qui constituait les aléas de toute existence : les tempéraments mélancoliques sont devenus des neurasthéniques, les peureux sont devenus phobiques, les insatisfaits sont devenus des hystériques, les inquiets sont devenus des obsessionnels, les cafardeux sont devenus des dépressifs etc, … J’écarte les cas graves de psychoses qui relèvent eux du champ thérapeutique pour me concentrer sur la névrose, ou plus exactement sur l’angoisse existentielle, laquelle est un trait de l’âme humaine dont aucune thérapie ne viendra jamais à bout.
Considérant cette part inguérissable de toute vie, il nous paraît important de replacer les problèmes dans un cadre plus large d’interrogation de l’âme humaine et d’arrêter de vouloir débarrasser l’humanité de ses maux à tout prix lorsqu’elle ne fait que questionner sa condition et ses souffrances.
L’existence n’est pas une maladie. Vivre est incontestablement un exercice difficile mais l’aspiration au bonheur ou tout simplement à la sérénité est davantage une question de réflexion qui fait appel sans doute aux théories de l’inconscient mais pas seulement. Les outils de la psychanalyse sont à repenser dans une vision anthropologique où les enjeux de l’existence se révèlent en évolution constante.
Qu’est-ce qu’être une mère aujourd’hui alors que la plupart des femmes travaillent autant que les hommes ? Qu’est-ce qu’être père dans un monde où les rôles ne sont plus clairement définis ? Qui fait qui, qui fait quoi et surtout pourquoi faire comme ceci ou faire comme cela ? Faut-il laisser pleurer un enfant qui ne s’endort pas ? Faut-il s’inquiéter s’il ne joue pas facilement avec les autres ? Comment gérer les jalousies entre frères et sœurs ? Comment gérer les jeux vidéo ? … Autant de questions qu’il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir en fonction des exigences d’un contexte historique qui n’a plus rien à voir avec la société d’hier.
Les enjeux de la transmission ont changé. Dans les pays développés, on a beaucoup moins d’enfants mais paradoxalement ils tiennent encore plus de place. Les jeunes parents ont à cœur de réussir l’éducation de leurs enfants et de sortir des schémas de répétition qui ont caractérisé la transmission jusqu’à ce jour. L’héritage transmis est moins un héritage matériel que psychique. C’est à toutes ces questions fondamentales qu’il est urgent de se confronter afin que les enfants puissent un jour à leur tour se situer en tant qu’adultes responsables dans un monde qui devient de plus en plus chaotique. D’où peut émaner ce sens, cette éthique ? Voilà qui nous conduit à notre troisième point, la nécessité de l’interprétation symbolique.

 

3 – Françoise Dolto disait que ce sont les enfants qui « pédagogisent » les parents. Les enfants sont en effet porteur d’un discours de vérité. Ils sont au centre de la scène mythique dont ils épousent avec agilité tous les rôles. Chacun de leur acte relève d’une symbolique précise qui renvoie les adultes sur leurs propres repères. Du haut de leurs quelques années, que ce soit avec les parents ou avec les éducateurs, les enfants pointent sans état d’âme les moindres difficultés existentielles et lieux de repli des adultes obligeant à une remise en question valant toutes les thérapeutiques du monde.
Comprendre et traduire ce langage est devenu une priorité car, comme on l’aura constaté, les enfants d’aujourd’hui ne s’en laissent pas compter. Leur violence potentielle nous interpelle mais ne répond-elle pas à la violence cachée de nos propres comportements face à la pression de la vie ? Qu’avons-nous de mieux à leur proposer que des nouvelles catégories telles « la phobie scolaire », « l’hyperactivité » ou pire la violence de traitements médicaux dont nous ne connaissons pas encore les effets à long terme ?
Leur caractère de plus en plus tôt affirmés met en échec notre capacité à les canaliser mais ne serait-ce pas là une façon pour les enfants de pointer du doigt notre dérive relationnelle ? La puissance de leur opposition est d’autant plus forte que les règles sont vacillantes autour d’eux. Entre la proposition d’Aldo Naouri d’une autorité « à l’ancienne » et la proposition de Claude Halmos d’une explication langagière (déjà plus intéressante), n’y aurait-il pas la place pour une autre attitude ? Le temps n’est-il pas venu d’aider les parents à hisser leur niveau de conscience vers une autorité naturelle, c’est-à-dire une autorité qui les rendrait auteur de leur parole face à une demande individuelle de l’enfant qui n’aspire qu’à plus de vérité et de sens ?
La société change et les enfants changent aussi. Plus que jamais en cette période de grande mutation sociétale, ces petits êtres nous guident et nous forcent à élever notre niveau de compréhension comme s’ils avaient entendu et intégré que le bébé est bien « une personne » et qu’ils n’allaient pas laisser passer une occasion trop belle de le démontrer.

1 Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Gallimard, 1971
2 Freud, Le Petit Hans, analyse d’un cas de phobie d’un garçon de cinq ans, quadrige, Puf, 2006

 

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