Florilège de cinq « nouveaux symptômes »

Florilège de cinq « nouveaux symptômes », initiés par les auteurs du nouveau DSM-5 et démontés pour « psychologies magazine », par les spécialistes Mikkel Borch-Jacobsen, Maurice Corcos et Christopher Lane.

1. Toujours triste après deux mois de deuil ? Vous souffrez d’un « épisode dépressif majeur ».

Vous avez soixante jours pour vous remettre d’un deuil, selon le DSM-5, assure Christopher Lane, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet. Au-delà de cette limite, si vous n’êtes pas guéri, vous traversez sans doute un EDM, épisode dépressif majeur. D’après Maurice Corcos, pédopsychiatre à l’Institut Mutualiste Montsouris, à Paris,  » dans le troisième édition, c’était trois mois, et là nous sommes passés à deux. L’histoire personnelle n’est pas prise en compte. C’est une aberration totale. Même la revue scientifique médicale britannique Lancet a dénoncé cette » nouveauté ». Nul besoin d’être psychanalyste pour rappeler que ça vaut la peine d’accepter ce moment d’introspection avec soi-même qu’est le deuil,de commémorer, c’est-à-dire de faire comme le mort, de rester en suspens avec lui, d’incorporer ce qu’il a encore à nous dire. Si ce processus est cassé par des antidépresseurs, les effets psychologiques et somatiques peuvent être graves. Cela ressemble à une opération de marketing destinée à l’industrie pharmaceutique. dès que les médecins généralistes verront que le patient est encore dépressif passé ces deux mois, ils multiplieront les prescriptions d’antidépresseurs. « 

2. Un enfant colérique à la maison ? Il souffre du trouble d »humeur explosive ».

Tout jeune piquant plus de trois colères par semaine pendant douze semaines en serait atteint, selon le DSM-5. Maurice Corcos, estime lui, que « ce trouble n’existe pas. C’est une abstraction. Il ne correspond pas à des données de terrain fiables et évaluées en plusieurs étapes, comme ce doit être le cas. Il répond à une logique de médecine préventive. Les rédacteurs du DSM veulent associer l »hyperactivité » de l’enfant et les « humeurs explosives » de l’adolescence qui conduiraient aux « troubles bipolaires » à l’âge adulte. Il s’agit d’entretenir l’idée qu’il y aurait un lien entre les trois. Ainsi, ils pourraient traiter le problème avant même qu’il ne surgisse, même s’il ne surgit jamais ! Des enfants et des adolescents vont donc être surdiagnostiqués. « 

3. Timide ? Vous souffrez de « phobie sociale ».

Si vous n’osez pas ou si vous n’aimez pas utiliser les toilettes publiques, vous êtes malade ! Commentaire de Maurice Corcos : « La timidité est une notion relative. Aux Etats-Unis, ce n’est pas exemple pas la même chose qu’au Japon. Dans ce pays où il est d’usage de tenir des positions de retrait, beaucoup d’individus vont pouvoir être mis sous antidépresseurs. Là encore, les rédacteurs du manuel ne tiennent pas compte de l’histoire ou de la « socioculture » des autres régions du monde.

4. Distrait ? Etourdi ? Vous souffrez de « troubles neurocognitifs mineurs ».

« Flottant », rêveur, vous oubliez parfois vos rendez-vous. Votre sens de l’orientation laisse à désirer. Avec l’âge, votre mémoire se fait sélective. Vous entrez dans cette catégorie, et constituez par la-même une aubaine pour « les compagnies qui produisent des médicaments inefficaces contre la maladie d’Alzhzeimer, mais vont pouvoir recycler meurs molécules déficientes en jouant la carte de la prévention », diagnostique Mikkel Borch-Jacobsen. Maurice Corcos y voit aussi une célébration de « la culture de la performance, soucieuse de dépister les troubles démentiels le plus tôt possible pour les traiter. Qui va entrer là-dedans ? Les personnes âgées, certes, mais aussi les jeunes un peu distraits, ceux qui sont dans la lune… C’est très inquiétant, car cela ouvre la porte à une prescription médicamenteuse alors qu’aucune étude sérieuse n’existe sur le sujet. »

5. Collectionneur ? Vous souffrez de « troubles d’accumulation compulsive. »

Vous n’arrivez pas à jeter ? Vous avez parfois du mal à circuler chez vous parce que vous refusez de vendre ou de donner les meubles dont vous avez hérité ? Vous êtes malade. « Il ne faut pas exagérer. Il faut en avoir entassé des choses, pour ne plus pouvoir se déplacer chez soi », soutient le psychiatre Antoine Pelissolo, qui défend l’apparition de ce trouble dans le DSM. Non, objectent certains de ses confrères, rappelant l’exigüité de bien des logements dans les grandes villes et la propension à entasser de nombreux individus. « Imaginez une personne âgée qui vit dans un tout petit appartement », remarque Mikkel Borch-Jacobsen.

Maurice Corcos s’insurge : « Il va y en avoir des malades ! Tous ceux dont les armoires, dont les pièces débordent ? Non et non ! Ce n’est pas une maladie. Juste le signe d’une gestion particulière de la perte, du deuil, qui consiste à investir les objets collectionnés ou conservés de l’aura du souvenir. il n’ont pas compris cela, à l’APA ! Considérer ceux qui ont une certaine complaisance à cultiver la nostalgie comme des malades mentaux revient à considérer que le temps n’existe pas. Et c’est exactement ce que véhiculent les dernières éditions du DSM. »

Un rapport au temps perdu, parce que seuls comptent le présent, la performance et l’efficacité. Conclusion de Maurice Corcos : « Avec ce type de vision de l’existence, les médecins ne soigneront bientôt plus les patients. Ils les traiteront, ou plutôt, selon moi, les maltraiteront ! « 

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Psychologies Magazine- Juin 2013